24 septembre 2020
Par Julie Marchand
Longtemps restreint à l’exercice professionnel ou relégué à une fonction d’accompagnement liturgique, la pratique du chant choral n’a pas toujours bénéficié du niveau d’accessibilité que nous lui connaissons aujourd’hui. En effet, ce n’est que vers la fin du 18e siècle, avec le développement de la classe bourgeoise qui s’éduque, s’enrichit et se divertit, que la musique prend place dans les foyers et que, dans ce même mouvement, la pratique du chant s’étend à la communauté par la création de nombreux regroupements de choristes amateurs, en Allemagne comme ailleurs dans le monde occidental.
La Singakademie de Berlin, une société chorale née à la fin du 18e siècle et encore en exercice aujourd’hui, est un exemple remarquable d’organisation ayant initié ce grand élan, et ce par le biais d’une approche artistique extrêmement fructueuse et influente en regard de l’histoire de la musique et du genre choral. Né de manière informelle autour du clavecin de son fondateur Carl Friedrich Christian Fasch (1736-1800) en 1791, l’ensemble gagne rapidement en popularité et en calibre pour atteindre, en 1826, le nombre impressionnant de 374 choristes et une notoriété reconnue par l’ensemble du milieu culturel germanique. Proposant un répertoire ambitieux de chant sacré – dont le Requiem de Mozart, La Création de Haydn, Judas Maccabeus de Handel et la Symphonie no.9 de Beethoven) – et reconnu pour sa sonorité exceptionnelle et inédite, son rayonnement s’étend rapidement au-delà de Berlin et, dans la foulée, un mouvement choral sans précédent s’établit à partir du 19e siècle dans les pays européens et jusqu’en Amérique.
Contrairement aux chœurs traditionnels alors composés uniquement d’hommes et de garçons, la Singakademie a recours dès le départ aux voix de femmes pour assurer les parties de soprano et d’alto, accomplissant ainsi un saut culturel nettement progressiste en regard de l’époque et favorisant, du coup, un son choral nouveau et de grande qualité. De plus, alors que la pratique musicale générale du temps consiste à présenter des œuvres principalement modernes, le choix des pièces reflète une tendance spécifique pour les musiques anciennes alors en bonne partie oubliées, en particulier celles de J. S. Bach, mais aussi de Handel, Graun, Durante, Allegri, Shütz et plusieurs autres. L’audacieuse présentation par la Singakademie de la Passion selon Saint-Mathieu de J. S. Bach en 1829 marquera par ailleurs une étape déterminante en ce sens, entraînant la redécouverte et la reconnaissance de l’œuvre de ce génie alors tombé en désuétude depuis presque un siècle. Fait intéressant : ce projet est initié et dirigé par le jeune Felix Mendelssohn, dont la fréquentation du chœur depuis son enfance ainsi que son implication avec l’ensemble en tant que compositeur et chef occasionnel à l’aube de sa fructueuse carrière auront un impact majeur sur son cheminement futur.
La richesse artistique du chœur témoigne de l’engagement enthousiaste de ses choristes amateurs soutenus par une habile direction artistique favorisant l’éducation, l’inclusion, la diversité, l’implication administrative de ses membres (à l’exemple de nos conseils d’administration actuels) ainsi qu’un discours valorisant l’expression artistique en tant que vecteur d’épanouissement personnel. Par conséquent, l’esprit d’ouverture et de communauté de la Singakademie anticipe déjà celui d’une grande partie des communautés chorales d’aujourd’hui, plus actives que jamais partout dans le monde en réponse au besoin fondamentalement humain d’expression, de réalisation et de connexion interpersonnelle. Souhaitons longue vie au chant choral, et surtout beaucoup de résilience à travers l’incertitude actuelle qui en affecte injustement l’exercice…
Julie Marchand
Bac en musique (2020), Université de Montréal
Choriste à l’ensemble Vox